Au plus fort de l'hiver... la fête de l'amour!
14 février 2025
À la mi-février, après plusieurs mois de silence, les forêts de l’archipel du lac Saint-Pierre sortent de leur mutisme. Pour quiconque passe du temps à l’extérieur en hiver, le changement perceptible dans la lumière et les nouveaux sons entendus dans notre environnement sont les premiers signes annonciateurs du printemps. La mésange à tête noire émet son chant bitonal, le pic mineur et le pic chevelu martèlent les branches creuses de la canopée dégarnie et le cardinal rouge claironne ses sifflements aux tonalités pures au vu et au su de tous.
Les oiseaux commencent à chanter la pomme à l’élue de leur cœur aux alentours de la Saint-Valentin, une fête établie par l’Église catholique pour rendre hommage au martyr saint Valentin, mais célébrant aujourd’hui l’amour. Coïncidence? Nul ne sait avec certitude comment cette journée commémorant un martyr s’est métamorphosée en fête des cœurs à la cannelle, des roses et du cacao au fil des siècles, mais l’observation de la nature par les sociétés de l’époque y est sans aucun doute pour quelque chose.
La pariade dans la poésie du 14e siècle
Selon les travaux du professeur Jack Oruch, le poète anglais Geoffrey Chaucer (1340-1400) aurait été le premier à associer la fête chrétienne de la Saint-Valentin aux amoureux et à la pariade chez les oiseaux dans son poème « Le parlement volatil » (The Parliament of Fowls). Dans ce poème, les oiseaux se réunissent le jour de la Saint-Valentin pour célébrer la fête de l’amour et trouver un partenaire. Loin d’être une lubie, l’idée que la pariade commence en février dans l’Angleterre natale de Chaucer provient vraisemblablement de l’observation du comportement des oiseaux.
Mais les oiseaux d’Europe, vivant sous des cieux plus cléments, ne commencent-ils pas à chanter avant les nôtres? Après tout, dans les vieux pays préservés des rigueurs de l’hiver par le courant du Golfe, là où crocus et jonquilles sortent de terre en février, la mésange charbonnière et le merle noir peuvent bien chanter à loisir le retour du printemps à la Saint-Valentin…
Quelques minutes d’ensoleillement qui font la différence
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la différence de température n’est pas le facteur déterminant ici. L’explication se trouve dans la photopériode (durée du jour). L’accroissement de la photopériode déclenche chez les oiseaux la production d’hormones sexuelles (testostérone et hormone lutéinisante), ce qui se traduit par une augmentation des comportements territoriaux, incluant une envie irrépressible de chanter! Ce phénomène induit chez les oiseaux résidents de la plaine du Saint-Laurent les mêmes changements comportementaux que chez leurs cousins éloignés de l’Europe continentale, région située aux mêmes latitudes que le Québec habité (et donc connaissant les mêmes variations de leur photopériode).
Mais attention, ces effusions amoureuses entre individus de sexes opposés ou ces tensions territoriales entre rivaux ne signifient pas pour autant que la ponte des œufs est imminente (une autre fête existe pour souligner cela, dans deux lunes… Pâques). Pour l’instant, elles visent à cimenter le lien amoureux entre les deux partenaires du couple et à redéfinir le bornage de leur territoire. Même si les oiseaux chanteurs ne pondront pas leurs œufs avant plusieurs mois, pour ne pas se retrouver le bec à l’eau, il leur importe de commencer les préparatifs.
Grand-duc d'Amérique © Pierrot Tellier-Machabée
Ceci étant dit, il existe quelques exceptions. Contre vents et bordées (de neige), le grand-duc d’Amérique couve déjà les œufs qu’il a pondus dans un ancien nid de buse, de corneille ou d’épervier au moment d’écrire ces lignes. Il en est de même pour plusieurs autres espèces de strigidés (chouettes et hiboux). Ceux-ci étant carnivores, la nourriture avec laquelle ils nourrissent leurs rejetons est disponible à l’année. A contrario, la plupart des oiseaux chanteurs et des pics nourrissent leurs oisillons d’insectes; ils doivent donc synchroniser leur nidification avec le pic d’abondance de leurs proies, qui survient en juin.
Les espèces qui chantent à la Saint-Valentin
La mésange à tête noire
Mésange à tête noire © Pierrot Tellier-Machabée
En février, la mésange émet son Fii-bii, un chant sifflé composé de deux notes et dont la première est plus aigüe, de plus en plus fréquemment. La deuxième note est parfois marquée d’un hiatus, ce qui donne l’impression que le chant est formé de trois notes : Fii-bi-ii. Dans la langue d’Atwood, les transcriptions phonétiques les plus populaires du chant de la mésange sont Hey, sweetie! (hé, chérie!) et le très approprié Spring’s coming! (le printemps arrive!). La mésange à tête noire est une espèce sociale qui possède un important répertoire de chants et de cris lui permettant de communiquer avec ses pairs. Le professeur Pierre André a écrit un article fort intéressant à ce sujet sur son blogue.
Le pic mineur et le pic chevelu
Pic mineur © Éric Bégin
Les acériculteurs ne sont pas les seuls à entailler les érables quand les journées allongent. Les pics ne chantent pas à proprement parler : ils crient, hennissent et tambourinent. En février, le tambourinage des pics retentit dans les forêts, incluant les érablières exploitées1.
Pic chevelu. Noter le bec plus long et l'absence de points noirs sur les rectrices (plumes de la queue) externes © Réjean Deschênes
Le tambourinage est un staccato régulier d’environ une seconde produit par le martelage d’une branche creuse avec le bec. Le tambourinage du pic mineur est plus court et plus lent (0,8 seconde; 17 battements par seconde en moyenne) que celui du pic chevelu (1 seconde; 25 battements par seconde en moyenne). Autant le mâle que la femelle s’adonnent à cette activité qui a pour but d’établir un territoire, d’attirer un partenaire et, une fois ledit partenaire trouvé, de garder contact avec lui.
Le cardinal rouge
Cardinal rouge © Pierrot Tellier-Machabée
Le cardinal rouge est un oiseau voyant qui est paradoxalement difficile à voir. Avec son plumage rouge écarlate, il est une cible facile pour les prédateurs. Il affectionne donc les fourrés arbustifs denses et les haies de cèdres. Toutefois, à partir de février, cette relative discrétion cède sa place à une grandiloquence ravivée par un taux de testostérone à la hausse. Sur son territoire, le cardinal compte de quatre à sept perchoirs de chant atteignant dix mètres ou plus. C’est du haut de ceux-ci que le cardinal s’époumone au vu et au su de tous.
Son chant est une répétition de sifflements clairs et puissants. La tonalité de ces sifflements est pure, c’est-à-dire que chaque note couvre une faible étendue de fréquences, ce qui est perçu par nos oreilles (et certainement par celles du cardinal) comme étant mélodieux. Chez cette espèce, la femelle chante aussi, et pour les mêmes raisons, mais moins fréquemment.
En route vers le printemps
Voilà quelques-unes des manifestations auditives de nos oiseaux qui coïncident avec la fête de la Saint-Valentin. Ces sons qui meublent notre paysage sonore quotidien nous aideront à affronter les dernières semaines de l’hiver. Avant longtemps, nous verrons le premier carouge à épaulettes se mirer dans l’une des nombreuses cuvettes de fonte qui cribleront les marais de l’archipel, signe indubitable de l’arrivée du printemps!
1La découverte du sirop d’érable est peut-être redevable en partie aux pics, car de la sève s’écoule parfois de leurs excavations… c’est d’ailleurs le modus operandi du pic maculé, qui taille des puits dans le cambium des arbres pour en boire la sève et consommer les insectes qui sont attirés par les écoulements sucrés.